Quand vous dites qu'on fait le choix de la marginalité ou d'être paria, parle-t-on vraiment d'un choix ou d'un choix contraint par un ensemble de facteurs (biologique,psychologique,social,culturel,économique, etc...? Je pense qu'on oublie un peu l'effet de la structure sociale sur l'individu ainsi que les processus macros et mésos qui ont poussé l'individu à faire ce choix... Il me semble que Goffman a une vision plutôt individualiste et bourgeoise de la réalité sociale qui est basée sur le ''choix rationnel'' , mais n'empêche qu'il a produit une analyse poussée des interactions dans la vie quotidienne.
L'individu goffmanien est-il un homo œconomicus accompli ? Quand vous expliquiez la nécessité pour l'individu de faire confiance à certaines formes stables de la vie sociale (afin de conserver son "potentiel d'enquête" pour les situations qui en valent la peine), j'ai eu l'impression que tous les comportements, conscients ou non, devenaient stratégiques - même lorsqu'il s'agissait de suspendre son attention ! Peut-on imaginer l'individu goffmanien agissant conformément à certains principes éthiques dans lesquels il croit (par altruisme par exemple) ou toutes ses attitudes visent-elles à émettre-capter des signaux afin de survivre dans l'arène sociale (et y actualiser un statut tjrs précaire) ?
Il y a en effet une lecture de Goffman qui accentue cette idée d'une "économie des interactions" (certains termes qu'il utilise souvent comme celui de "management" de l'identité", "management de l'information" vont dans ce sens là). Soulevant le caractère stratégique ou tactique de l'individu goffmanien, on peut se demander ce qui peut différencier l'homo strategicus de l' "homo economicus". Une différence qui apparaît assez clairement c'est que l'individu goffmanien (affecté, phobique, etc.) n'est pas nécessairement le caractère rationaliste de l''homo economicus, tant au niveau de ses interprétations qu'au niveau des coups qu'il joue et qui peuvent souvent - j'en ai dit un mot - aggraver sa situation. Les stratégies et tactiques auxquelles s'intéresse Goffman ont ce côté tragicomique qu'on retrouve moins dans l'idée d'homo economicus. Pour le reste, oui il est possible à partir de la "théorie des cadres" de penser les engagements éthiques à partir de Goffman. Mais ces "engagements" (un concept qui fait d'ailleurs partie du vocabulaire de Goffman) ont toujours une dimension pratique et seraient constamment mis à l'épreuve des situations. Il est assez clair que la sociologie Goffmanienne n'est pas "suffisante" pour nous parler des engagements éthiques et de l'agir politique ; mais elle peut avoir, je pense, un caractère "nécessaire" (son réalisme sociologique) qui fait défaut à d'autres théoriciens de l'action, comme J. Habermas. Les critiques d'Habermas soulèvent souvent le caractère peu convaincant de la distinction "agir communicationnel" / "agir stratégique" et l'évacuation de cette dernière (et avec elle les apports d'auteurs comme Goffman!) dans la théorie de l'auteur allemand. Une autre limite que permet de combler Goffman (et une sociologie sensible aux signes plutôt qu'au seul langage) est qu'un auteur comme Habermas, qui pense pourtant la communication en référence à des auteurs associés au pragmatisme américain (Mead, Dewey), ne parvient pas à théoriser la communication en tant qu'expérience. Il faudrait passer de "l'agir communicationnel" à "l'expérience communicationnelle", qui inclut aussi une dimension de "pâtir". Goffman, qui s'est plutôt concentré sur le caractère éprouvant de la communication, est utile sur ce plan. De manière générale, il peut être dommageable de se référer à "l'individu goffmanien", ou à "l'individu habermassien"... Ces auteurs révèlent différents aspects de l'action en prêtant attention à des dimensions différentes et nous-mêmes nous conduisons variablement, parfois au fil d'une même situation d'interaction, de manière plutôt habermassienne puis plutôt goffmanienne. Il me semble utile et possible d'apprendre de ces différents auteurs et d'articuler leurs apports dans la description et l'analyse plutôt que de les faire jouer les uns contre les autres. Super question en tout cas ; on peut continuer la discussion, avec plaisir, si vous ou d'autres le souhaitez !
Sur ces questions je me permets de vous renvoyer vers deux textes à moi : "L'espace public tel qu'il a lieu" et "Vers une théorie du pâtir communicationnel. Sensibiliser Habermas". Vous les trouverez sur ma page Academia (uclouvain.academia.edu/MathieuBerger). Un auteur qui donne une bonne critique de Habermas en cherchant à réintégrer les dimensions esthétiques et stratégiques dans une théorie de la communication démocratique est Herman Parret, dans son ouvrage "L'esthétique de la communication. L'au-delà de la pragmatique". Jean-Louis Genard a aussi des textes récents très intéressants sur ces questions.
Merci pour ces réponses ; elles m'ont permis d'y voir plus clair. Je n'ai pas les ressources pour poursuivre la discussion, mais je peux peut-être expliciter une hypothèse (un peu grossière) sous-jacente à ma première question. J'avais été "surpris" en apprenant que la diffusion de Goffman en France avait été favorisée par P. Bourdieu (via la collection du "Sens commun"), alors qu'on avait été habitués, en cours, à davantage associer Goffman à des auteurs plus ou moins hostiles à l'approche de Bourdieu (je pense, peut-être à tort, à Isaac Joseph). Peut-on dire que la lecture de Goffman que vous évoquez au début de votre réponse ("économie des interactions") ait été principalement développée par l'école bourdieusienne, tandis que d'autres aspects de son œuvre (engagement, situations, etc.) ont surtout nourri d'autres courants sociologiques en France (dont la sociologie pragmatique) ? Ou bien une telle partition est-elle excessivement réductrice ?
@@tomduterme818 Pas du tout réductrice ; cette remarque s'imposait en effet. J'avais pensé aborder la question dans la vidéo, puis dans ma réponse ci-dessus, mais je le ferai donc ici. Bourdieu a en effet eu un rôle clé dans la diffusion de Goffman en francophonie, via cette collection "Le sens commun", et était assez admiratif des capacités de micro-analyses de Goffman, qu'il comptait vraisemblablement parmi les siens. Articulation du phénoménal (les faits et gestes du corps comme observables) au structural ; critique des institutions dans leur propension à humilier les personnes ; recherche des ces humiliations et violences dans les détails... On retrouve en effet ces éléments chez Bourdieu comme chez Goffman à ses débuts. Ainsi les premiers travaux de Goffman (en Master!) sur "les symboles du statut de classe" préfigurent peut-être certaines descriptions de "La distinction" ; des textes comme "Asiles" et "Stigmates" peuvent être lus selon une grille dominants/dominés (institution totale/internés ; normaux/stigmatisés) ; le petit livre de Goffman sur "L'arrangement des sexes" amène du grain (empirique et en l'occurrence visuel) à moudre pour une théorie de "La domination masculine". Mais si Goffman nous parle bien du sort détestable des "petits" dans les interactions sociales, il n'oublie pas de nous rappeler constamment, avec une certaine délectation, comment ceux qui se prennent pour des grands ne sont pas à l'abri des "épreuves" de la vie sociale, des épreuves qui à tout moment peuvent les faire choir de leur piédestal (l'idée, notamment, de "misrepresentation" qui est présente dans son travail depuis le début). C'est cette valorisation des épreuves, de l'indétermination et de la contingence des situations ("il ne faut pas traiter la situation comme une cousine de province" disait Goffman) qui a distingué la sociologie pragmatique de la sociologie bourdieusienne. Luc Boltanski a été un personnage-clé dans cette histoire. Début des années 1980s, dans son texte sur "La dénonciation" (qui annonce "De la justification"), il prend ses distances avec Bourdieu et se met à citer Goffman et d'autres interactionnistes comme Edwin Lemert qui lui semblent apporter des éclairages plus justes que ceux de Bourdieu (son maître!) sur le phénomène qui l'intéresse, à savoir ce qui fait la normalité ou l'anormalité d'une dénonciation publique. Bourdieu, s'il avait de l'affection pour Goffman, lui reprochait évidemment de ne pas montrer suffisamment combien nous sommes inégaux devant nos capacités à nous construire des "armures symboliques" pour protéger nos performances et notre "self" ; de ne pas voir dans ces carapaces le résultat de legs, d'investissements, de (re)production d'un "capital symbolique". Mais, s'il faut continuer à parler de la sociologie de ces auteurs en termes économiques, les descriptions que fait Goffman des mille et une possibilités d'effondrement du symbolique en situation d'interaction rendent problématique la métaphore du "capital" (accumulé et doté d'une certaine stabilité) pour qualifier ces "ressources". Et si Bourdieu tend à nous parler des investissements faits dans le "capital symbolique" sous les pratiques détestables des élites et des dominants, Goffman décrit les pratiques plus communes et plus ambigües d'une population diversifiée de ce qu'on pourrait appeler de "petits et moyens entrepreneurs symboliques".
Par contre le "relâchement" avec les proches ne correspond pas vraiment à ce que Goffman décrit il me semble. Pour les interactionnistes, toute interaction est une mise en scène même si elle ne paraît pas toujours contraignante à l'individu. Pire, tout ce qui ne semble pas être une interaction est quand même une interaction intermédiée, et donc une mise en scène (par la présence d'une sorte d'autrui virtuel - un surmoi social). C'est bien vu quand on pense aux réflexions anthropologiques et ethnologiques actuelles ! Même manger est une pratique située socialement et culturellement. Or, même en congés, il me semble que l'on se nourrit - et souvent comme on l'a appris, donc socialement.
Merci pour votre commentaire. Goffman établit quand même une distinction entre le caractère serré ou relâché ("tightness" / "looseness") de nos "occasions sociales" dans un chapitre de Behavior in Public Places. C'est en ce sens que je parle du relâchement avec les proches. Mais vous avez raison de dire que quand on quitte un cadre c'est pour venir réinscrire l'activité dans un autre cadre. Lorsque les serveurs d'un grand restaurant (décrits par Goffman dans Presentation of Self in Everyday Life) quittent le "front stage" de la salle de restaurant et son schème comportemental très codifié pour se réfugier "back stage" et fumer une cigarette ensemble dehors en crachant et en racontant des blagues graveleuses, ils est difficile de dire qu'ils ne se relâchent pas, même ce faisant s'ils sont encore tenus de produire "l'action qui convient"
Merci, c'est sympa d'avoir mis votre cours en ligne.👍
Super initiative ! Merci pour ces cours de sociologie accessibles pour le plus grand nombre
Quand vous dites qu'on fait le choix de la marginalité ou d'être paria, parle-t-on vraiment d'un choix ou d'un choix contraint par un ensemble de facteurs (biologique,psychologique,social,culturel,économique, etc...? Je pense qu'on oublie un peu l'effet de la structure sociale sur l'individu ainsi que les processus macros et mésos qui ont poussé l'individu à faire ce choix... Il me semble que Goffman a une vision plutôt individualiste et bourgeoise de la réalité sociale qui est basée sur le ''choix rationnel'' , mais n'empêche qu'il a produit une analyse poussée des interactions dans la vie quotidienne.
L'individu goffmanien est-il un homo œconomicus accompli ? Quand vous expliquiez la nécessité pour l'individu de faire confiance à certaines formes stables de la vie sociale (afin de conserver son "potentiel d'enquête" pour les situations qui en valent la peine), j'ai eu l'impression que tous les comportements, conscients ou non, devenaient stratégiques - même lorsqu'il s'agissait de suspendre son attention ! Peut-on imaginer l'individu goffmanien agissant conformément à certains principes éthiques dans lesquels il croit (par altruisme par exemple) ou toutes ses attitudes visent-elles à émettre-capter des signaux afin de survivre dans l'arène sociale (et y actualiser un statut tjrs précaire) ?
Il y a en effet une lecture de Goffman qui accentue cette idée d'une "économie des interactions" (certains termes qu'il utilise souvent comme celui de "management" de l'identité", "management de l'information" vont dans ce sens là). Soulevant le caractère stratégique ou tactique de l'individu goffmanien, on peut se demander ce qui peut différencier l'homo strategicus de l' "homo economicus". Une différence qui apparaît assez clairement c'est que l'individu goffmanien (affecté, phobique, etc.) n'est pas nécessairement le caractère rationaliste de l''homo economicus, tant au niveau de ses interprétations qu'au niveau des coups qu'il joue et qui peuvent souvent - j'en ai dit un mot - aggraver sa situation. Les stratégies et tactiques auxquelles s'intéresse Goffman ont ce côté tragicomique qu'on retrouve moins dans l'idée d'homo economicus. Pour le reste, oui il est possible à partir de la "théorie des cadres" de penser les engagements éthiques à partir de Goffman. Mais ces "engagements" (un concept qui fait d'ailleurs partie du vocabulaire de Goffman) ont toujours une dimension pratique et seraient constamment mis à l'épreuve des situations. Il est assez clair que la sociologie Goffmanienne n'est pas "suffisante" pour nous parler des engagements éthiques et de l'agir politique ; mais elle peut avoir, je pense, un caractère "nécessaire" (son réalisme sociologique) qui fait défaut à d'autres théoriciens de l'action, comme J. Habermas. Les critiques d'Habermas soulèvent souvent le caractère peu convaincant de la distinction "agir communicationnel" / "agir stratégique" et l'évacuation de cette dernière (et avec elle les apports d'auteurs comme Goffman!) dans la théorie de l'auteur allemand. Une autre limite que permet de combler Goffman (et une sociologie sensible aux signes plutôt qu'au seul langage) est qu'un auteur comme Habermas, qui pense pourtant la communication en référence à des auteurs associés au pragmatisme américain (Mead, Dewey), ne parvient pas à théoriser la communication en tant qu'expérience. Il faudrait passer de "l'agir communicationnel" à "l'expérience communicationnelle", qui inclut aussi une dimension de "pâtir". Goffman, qui s'est plutôt concentré sur le caractère éprouvant de la communication, est utile sur ce plan. De manière générale, il peut être dommageable de se référer à "l'individu goffmanien", ou à "l'individu habermassien"... Ces auteurs révèlent différents aspects de l'action en prêtant attention à des dimensions différentes et nous-mêmes nous conduisons variablement, parfois au fil d'une même situation d'interaction, de manière plutôt habermassienne puis plutôt goffmanienne. Il me semble utile et possible d'apprendre de ces différents auteurs et d'articuler leurs apports dans la description et l'analyse plutôt que de les faire jouer les uns contre les autres. Super question en tout cas ; on peut continuer la discussion, avec plaisir, si vous ou d'autres le souhaitez !
Sur ces questions je me permets de vous renvoyer vers deux textes à moi : "L'espace public tel qu'il a lieu" et "Vers une théorie du pâtir communicationnel. Sensibiliser Habermas". Vous les trouverez sur ma page Academia (uclouvain.academia.edu/MathieuBerger). Un auteur qui donne une bonne critique de Habermas en cherchant à réintégrer les dimensions esthétiques et stratégiques dans une théorie de la communication démocratique est Herman Parret, dans son ouvrage "L'esthétique de la communication. L'au-delà de la pragmatique". Jean-Louis Genard a aussi des textes récents très intéressants sur ces questions.
Merci pour ces réponses ; elles m'ont permis d'y voir plus clair. Je n'ai pas les ressources pour poursuivre la discussion, mais je peux peut-être expliciter une hypothèse (un peu grossière) sous-jacente à ma première question. J'avais été "surpris" en apprenant que la diffusion de Goffman en France avait été favorisée par P. Bourdieu (via la collection du "Sens commun"), alors qu'on avait été habitués, en cours, à davantage associer Goffman à des auteurs plus ou moins hostiles à l'approche de Bourdieu (je pense, peut-être à tort, à Isaac Joseph). Peut-on dire que la lecture de Goffman que vous évoquez au début de votre réponse ("économie des interactions") ait été principalement développée par l'école bourdieusienne, tandis que d'autres aspects de son œuvre (engagement, situations, etc.) ont surtout nourri d'autres courants sociologiques en France (dont la sociologie pragmatique) ? Ou bien une telle partition est-elle excessivement réductrice ?
@@tomduterme818 Pas du tout réductrice ; cette remarque s'imposait en effet. J'avais pensé aborder la question dans la vidéo, puis dans ma réponse ci-dessus, mais je le ferai donc ici. Bourdieu a en effet eu un rôle clé dans la diffusion de Goffman en francophonie, via cette collection "Le sens commun", et était assez admiratif des capacités de micro-analyses de Goffman, qu'il comptait vraisemblablement parmi les siens.
Articulation du phénoménal (les faits et gestes du corps comme observables) au structural ; critique des institutions dans leur propension à humilier les personnes ; recherche des ces humiliations et violences dans les détails... On retrouve en effet ces éléments chez Bourdieu comme chez Goffman à ses débuts. Ainsi les premiers travaux de Goffman (en Master!) sur "les symboles du statut de classe" préfigurent peut-être certaines descriptions de "La distinction" ; des textes comme "Asiles" et "Stigmates" peuvent être lus selon une grille dominants/dominés (institution totale/internés ; normaux/stigmatisés) ; le petit livre de Goffman sur "L'arrangement des sexes" amène du grain (empirique et en l'occurrence visuel) à moudre pour une théorie de "La domination masculine".
Mais si Goffman nous parle bien du sort détestable des "petits" dans les interactions sociales, il n'oublie pas de nous rappeler constamment, avec une certaine délectation, comment ceux qui se prennent pour des grands ne sont pas à l'abri des "épreuves" de la vie sociale, des épreuves qui à tout moment peuvent les faire choir de leur piédestal (l'idée, notamment, de "misrepresentation" qui est présente dans son travail depuis le début). C'est cette valorisation des épreuves, de l'indétermination et de la contingence des situations ("il ne faut pas traiter la situation comme une cousine de province" disait Goffman) qui a distingué la sociologie pragmatique de la sociologie bourdieusienne. Luc Boltanski a été un personnage-clé dans cette histoire. Début des années 1980s, dans son texte sur "La dénonciation" (qui annonce "De la justification"), il prend ses distances avec Bourdieu et se met à citer Goffman et d'autres interactionnistes comme Edwin Lemert qui lui semblent apporter des éclairages plus justes que ceux de Bourdieu (son maître!) sur le phénomène qui l'intéresse, à savoir ce qui fait la normalité ou l'anormalité d'une dénonciation publique.
Bourdieu, s'il avait de l'affection pour Goffman, lui reprochait évidemment de ne pas montrer suffisamment combien nous sommes inégaux devant nos capacités à nous construire des "armures symboliques" pour protéger nos performances et notre "self" ; de ne pas voir dans ces carapaces le résultat de legs, d'investissements, de (re)production d'un "capital symbolique". Mais, s'il faut continuer à parler de la sociologie de ces auteurs en termes économiques, les descriptions que fait Goffman des mille et une possibilités d'effondrement du symbolique en situation d'interaction rendent problématique la métaphore du "capital" (accumulé et doté d'une certaine stabilité) pour qualifier ces "ressources". Et si Bourdieu tend à nous parler des investissements faits dans le "capital symbolique" sous les pratiques détestables des élites et des dominants, Goffman décrit les pratiques plus communes et plus ambigües d'une population diversifiée de ce qu'on pourrait appeler de "petits et moyens entrepreneurs symboliques".
Par contre le "relâchement" avec les proches ne correspond pas vraiment à ce que Goffman décrit il me semble. Pour les interactionnistes, toute interaction est une mise en scène même si elle ne paraît pas toujours contraignante à l'individu. Pire, tout ce qui ne semble pas être une interaction est quand même une interaction intermédiée, et donc une mise en scène (par la présence d'une sorte d'autrui virtuel - un surmoi social). C'est bien vu quand on pense aux réflexions anthropologiques et ethnologiques actuelles ! Même manger est une pratique située socialement et culturellement. Or, même en congés, il me semble que l'on se nourrit - et souvent comme on l'a appris, donc socialement.
Merci pour votre commentaire. Goffman établit quand même une distinction entre le caractère serré ou relâché ("tightness" / "looseness") de nos "occasions sociales" dans un chapitre de Behavior in Public Places. C'est en ce sens que je parle du relâchement avec les proches. Mais vous avez raison de dire que quand on quitte un cadre c'est pour venir réinscrire l'activité dans un autre cadre. Lorsque les serveurs d'un grand restaurant (décrits par Goffman dans Presentation of Self in Everyday Life) quittent le "front stage" de la salle de restaurant et son schème comportemental très codifié pour se réfugier "back stage" et fumer une cigarette ensemble dehors en crachant et en racontant des blagues graveleuses, ils est difficile de dire qu'ils ne se relâchent pas, même ce faisant s'ils sont encore tenus de produire "l'action qui convient"