Houaou ! J'ai trouvé votre exposé très fluide, clair et pertinent !!! Quand on veut découvrir le design et sa pensée en un temps record, c'est l'idéal. Merci :)
Bonjour, Merci pour cette vidéo et pour votre chaine que je découvre à l'instant et grâce à laquelle je me replonge dans mes années lycée en arts appliqués. :) Je trouve que l'on parle trop souvent des termes "esthétique", "fonction", "usage" mais nous omettons de les classifier. Ayant eu la chance d'avoir eu de très bons professeurs je permets de laisser un commentaire avec les souvenirs qu'il me reste de ces cours haha. Mes professeurs utilisaient un formulation simple pour qualifier la notion de Design. Ils nous disaient de retenir l'idée que le Design est "un processus de conception". De mon côté, je l'entends comme conception physique mais aussi spirituelle. Aussi, Il y a dans cette 'définition' la question d'un temps qui passe, de la réflexion, de plusieurs étapes.... Donc selon moi, l'objet fini correspond à un trait d'union, entre un avant et un après, au sein même de ce processus -comme l'architecture-, ce qui s'oppose totalement à l'expression du terme "Design" comme mot fourre tout. Étant donné que le 'design' s'inscrit dans un temps plus ou moins long, l'objet d'étude au centre du questionnement a pour but de dégager les notions de Valeurs d'Usage et Valeurs d'Estime. C'est valeurs comprennent les catégories suivantes : -ERGONOMIQUE (confort, facilité d'usage etc...) -FORMELLE (dimension, codes, couleur, texture... Etc) -TECHNOLOGIQUE (usage materiaux /propriété, symbolique/ Procédé de fabrication etc... -POETIQUE (expression, symbolique, imaginaire...) -FONCTIONNELLE -SOCIOLOGIQUE (prix, impact, cible -besoin-) Et enfin - SÉMANTIQUE > donner du sens. Tout ça correspondant alors au choix et à l'intention du/des créateur(s) puis à son/leur expression(s) et à ce que le public en fera. (Et dont l'objet fini a donc un destin commercial) J'espère que mon commentaire est assez clair haha, ça fait un moment que je n'ai pas remis mon nez dans mes cahiers. Merci de m'avoir lu :) je serais ravie d'avoir un retour à ce commentaire! Je m'abonne de ce pas à votre chaîne ! Belle journée 🌞
De mon point de vue de designer et d’artiste plasticien je dirais que la spécifique du designer réside précisément dans cet espace collaboratif avec les autres disciplines (artisanales, scientifiques, musicographiques…). C’est dans cet espace précis que le métier prend son sens. Réfléchir à l’harmonisation entre forme, esthétique et fonction fait bien entendu partie du métier mais on peut retrouver cette façon de penser la production d’objets dans l’artisanat, et ce depuis l’antiquité. Merci d’avoir soulevé cette question dans votre conclusion !
Analyse subtile du terme "design", qui est en effet "casse gueule" et qui a de multiple facettes (du design industriel connu au design conceptuel moins connu)
Pas certain de l'indiscociabilité du travail de l'esthétique, nos pratiques contemporaines ont largement prouvé que le design ne touchait plus uniquement la réalisation productive visuelle mais aussi la réalisation productive purement conceptuelle. Je pense par exemple à la distinction relativement récente du designer U.I. au designer U.X. Le design s'est éloigné du réel, comme la majorité de nos pratiques et de nos pensées, il vit de manière conceptuelle dans des espaces numériques. Sa réalisation matérielle n'est plus nécessaire à son accomplissement substantiel. J'ai toujours été relativement peu satisfait des définitions traitant le design comme objet esthétique, ayant l'impression que la pratique du design tournait bien plus dans la conception de l'usage (traduit la majeure partie du temps par un objet esthétique autonome). Dans le cadre d'un design territorial/urbain, peut-on vraiment parler d'un travail de l'esthétisme lors de la conception de l'agencement de la chaussée ? Lors de la conception d'une plaque d'égoûts, ne décrit on sa forme par conception d'usage, sa matérialité définissant d'elle même sa forme ? Cette conception du design dans le prisme de la dimension esthétique me paraît exclure une portion conséquente de la réalité du design aujourd'hui... Peut être que je passe à côté de votre proposition ?
Bonjour Jonas! Tout d’abord je voulais vous remercier pour votre message, c’est la première fois qu’on me pose une question et je suis trop trop contente!! Plus sérieusement, je comprends tout à fait votre point de vue : c’est ça qui est toujours intéressant avec le design, comme avec la plupart des domaines professionnels, plus on avance dans le temps, plus des sous-branches se multiplient, se rejoignent ou divergent... et des professionnels d’un même domaine tombent en désaccord sur leur propre discipline. J’entends tout à fait que le designer n’est pas emprisonné dans la case esthétique et que sa réflexion doit outrepasser de simples questionnements visuels, pour se concentrer sur le concept, l’usage et la stratégie d’un projet (physique comme digital). C’est le ton que j’ai essayé de donner à tout ce podcast. Celui-ci s’adressant aussi à des novices, je me devais de commencer par le fameux combo « beau-utile », pour ensuite faire décoller cette réflexion vers d’autres problématiques. Mais- et là ce n’est que mon avis personnel (comme je le précise déjà en amont de ma toute dernière partie)- ça ne me dérange pas de commencer par ce combo car je fais partie de ces designers qui considèrent que l’esthétique fait encore partie intégrante de la réflexion de design. Je ne dirais pas que l’esthétique l’emporte sur l’usage, mais je ne dirais pas l’inverse non plus. Concevoir quelque chose sans songer à son aspect visuel, c’est selon moi considérer que les personnes pour qui je crée un objet, une plateforme ou un service n’accordent pas d’importance à son esthétique. Et ça je pense que c’est faux. Entre nous, je ne suis pas UX/UI designer, mais je reste une usager. Et en tant que telle : 1/ je ne pense pas que mon monde est en train de se dématérialiser, mais plutôt qu’un second monde immatériel vient s’entrecroiser avec mon premier monde bien physique (entre nous, il n’y a rien de plus matériel qu’un serveur en Chine qui crache ses pleins poumons pour montrer un gif de chat) 2/ je ne pense pas que l’immatérialité soit soumise à une « exception esthétique ». Dans le sens où même si le produit est immatériel, sa forme, son aspect visuel doivent être pensés. Encore une fois je pars sur un exemple très personnel, mais quand je vois les films d’animation de Mamoru Hosoda, je ne comprends pas pourquoi en 2021 mes réseaux sociaux sont aussi pauvres esthétiquement parlant. Facebook, Instagram, Twitter... toutes les plateformes se ressemblent, et ça m’ennuie à un poiiiiint... La seule excuse que je trouve à ce phénomène c’est « l’usage pur ». C’est-à-dire, une volonté des créateurs d’étendre un même modèle épuré et minimaliste, avec la même bibliothèque de gestes, pour permettre une utilisation et une adaptabilité plus rapide pour les usagers d’une plateforme à l’autre... peut-être ? encore une fois ce n’est pas mon métier. Moi au final, je trouve ça juste un peu dommage car d’une plateforme à l’autre je vis exactement la même expérience, car je ne pense pas que design minimaliste et épuré veuille dire design universel. Ce n’est qu’une esthétique parmi d’autres, dont certaines n’ont pas encore pu être pensées. En fait, peu importe la partie du design qui est concernée (produit, urbanisme, espace/architecture, graphisme, service, interface, etc...) dans tous les cas enlever la variable esthétique du métier (qui est une variable parmi d’autres hein) reviens presque à parler d'un autre métier que celui de designer pour moi. Si on enlève la réflexion esthétique d’un UX designer, qu’est-ce qui le différencie d’un développeur ? Si on enlève la réflexion esthétique à un designer industriel, qu'est-ce qu'il peut apporter de plus qu'un ingénieur ? Encore une fois, tout ceci n'est que mon avis sur cette profession. Un avis que j'ai voulu partager dans ce podcast et pour lequel je suis toujours très ouverte à la discussion :) Alexia
@@leselucubrateursdimages5107 Merci pour cette réponse, vous éclairez déjà mieux ce que je n’avais pu cerner dans votre propos ! Dans un premier lieu, je crois que nous avons un désaccord radical sur la question de la qualité esthétique. Heureusement pour nous, « Le conflit n’est pas une aggression » comme dirait l’autre. L’existence de courants comme le « No Design », cherchant à s’affranchir du diktat esthétique, appuie justement ce parti pris hors de « l’esthétique au sein de la conception ». C’est la fameuse idée que du fond nait la forme (que je défendais déjà avec l’image de la plaque d’égouts, mais qu’on peut étendre à nombre d’artéfacts de design). J’ai tendance à citer, et étendre au design entier, la définition que donne Béatrice Warde de la typographique dans son court essai « La typographie ou le verre en cristal ». Cette idée s’inscrit plus largement dans une conception du design articulé autour de problématiques et non autour d’une dimension ornementale. Nous définissons ainsi le design avant tout comme « le travail de la définition de l’usage », s’articulant avant tout sur la création de conception. La forme, la réflexion esthétique, n’en devient qu’une intervention finale et secondaire, comme l’avènement matériel du concept. Bien sur, il se peut que l’essence du concept soit l’esthétique, ce n’est pas contradictoire. Cela me mène à une critique de la praxis du design très répandue, que vous citez deux fois sans l’approfondir (encore heureux, votre vidéo dure moins de 6 heures) : - La pratique du design, que l’on peut qualifier « design d’ornement » dans un paradigme capitaliste, dont la qualité esthétique n’a pour but que la vente de la production, et la conversion de la pratique artisanal à une industrialisation massive des artéfacts. - La production de produits aliénés, étrangers même aux designers les ayants conçus, ces derniers n’inscrivant pas leur pratique dans une conception philosophique, historique, politique et productive. Vous en citez l’une des manifestation lors de l’évocation de l’entre soi dans la vidéo, ainsi que lorsque vous évoquez le lissage de la production - à tort nommée « créative » -. Vous l’évoquez également dans votre réponse lors de votre analyse de la répartition ad nauseam des mêmes principes de conception « UX » sur tous les sites que vous visitez. Vous dites par ailleurs que dans votre conception, créer un contenu sans penser avant tout -ou au moins tout autant- au contenant serait « considérer que les personnes pour qui je crée un objet, une plateforme ou un service n’accordent pas d’importance à son esthétique. » Je crois que concevoir une plateforme sans songer à son aspect visuel lors de son idéation est un acte qui dépasse la considération du « goût » de celui à qui je m’adresse. Pour ma part, il s’agirait d’avantage d’une revendication philosophique et politique, visant à un affranchissement du conditionnement hégémonique de l’image. Je considère le design comme un miroir face au monde, façonnant celui-ci autant que celui-ci le façonne. -J’espère développer ce point un jour, je vous ferais signe ;)- Désinscrire le design de sa dimension visuelle est pour moi une nécessité dans le cadre d’une évolution de sa pratique. Quitte à nous citer chacun une référence cinématographique, moi je choisirais « Hurlement en faveur de Sade » de Debord, qui s’inscrit dans la pratique désaliénante du cinéma. ______ Pour votre /1 Je suis tout à fait d’accord avec vous, dans cette vision matérielle et cette notion de « surcouche » au réel de ce qu’est le numérique. Je parlais « d’éloignement du réel » dans un sens situationniste. J’aurais tout aussi bien pu parler d’une « pratique du réel spectaculaire ». Notre évolution au sein des espaces numériques ne s’inscrit pas en porte à faux avec la réalité mais dedans. Cependant, elle la modifie drastiquement, pour le meilleur et pour le pire. 2/ Vous posez ici la problématique des objets de design aliénés. Comme dit précédemment, je lie cela à plusieurs causes dont l’usage capitaliste et liberal du design. Les usages de ces sites ne sont pas conçus comme des « expérimentations » mais comme des répétitions de canons autonomes. Ceux-ci forgent autant nos habitudes que nos répétions les forgent, d’où leur autonomie et la production de leur propre justification. Ce design dit « minimal » intervient partout à la manière de ce lissage évoqué précédemment : l’hégémonie de ces canons est inévitable dans une pratique libérale. C’est le système qui justifie le système : nos habitudes se conditionnent au point de refuser une expérience qui sorte de ce cadre. Ce que nous nommons « contre intuitif » l’est bien souvent uniquement pour cause d’un conditionnement à une autre norme. On revient sur ce que vous disiez plus tôt quant au manque de considération du goût si la conception esthétique n’est pas intégré dans le processus de conception, c’était considérer que les individus n’accordaient pas d’importance à l’esthétique. Pour moi, il s’agit surtout de questionner notre sens du beau, de l’esthétique justement. Je serais ravi de détailler avec vous ce que je nomme « objets de design aliénés » mais ce commentaire est déjà bien trop long ! Retenons cependant qu’il s’agit précisément de la négation de la conception, et donc de la négation absolue de design à mon sens. ENFIN, ce qui distingue le designer U.X. du développeur, c’est selon moi l’essence même de la conception face à celle de la réalisation. Si j’imagine une pièce dans un travail de design, permettant une exploration sensible, ce n’est pas parce que je n’accomplis pas la réalisation effective de mon idéation que j’en perds mon statut de designer. D’où la nécessité de votre distinction avec l’artisanat justement !! Quant à l’ingénieur, je dirais qu’il se distingue du designer, précisément parce que ce dernier n’est pas réduit au fonctionnalisme seul. C’est toute une dimension capitale à la notion de design pour moi : dans notre réflexion, nous devons proposer une émancipation. Ce que je résume bêtement par « Le design doit rendre libre ». Je vois le design comme pont entre les arts (fondamentalement inutiles à la production) et les techniques productives. C’est une discipline indissociable d’une société industrialisée qui ne veut se réduire au froid fonctionnalisme. On pourrait dire de ma position qu’elle brouille les limites entre le designer et l’artiste et à raison. Je crois que le designer est l’un des dépassements dialectique de l’artiste. D’où ma critique, et ma position, quant à sa praxis actuelle. Je vous remercie encore pour cette vidéo, et comme vous le disiez, il est possible de réfléchir encore profondément sur la question du design et de ce qu’il incarne. Je suis ravi d’échanger avec vous à ce propos, et le serais encore plus d’avoir vote retour sur ces positions. Dites moi également si l’un des points ci dessus mérite un approfondissement. Si je lance une chaîne TH-cam sur le sujet, je vous ferais signe :p Jonas
Bonjour @@jonasnujaym6985 ! Déjà, sachez que vos commentaires sont devenus mon nouveau podcast-métro du moment et pour mon plus grand plaisir !! Je suis ravie de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet et c’est encore plus intéressant quand on n’est pas d’accord sur tout. Je m’excuse par ailleurs pour les pavés qui vont suivre, il ne s’agit pas d’une démonstration de qui a raison et qui a tort, mais au contraire de quelques tentatives de réponses à beaucoup de questions que je me pose encore et dont mon psy ne veut plus entendre parler. En fait, j’ai finalement l’impression qu’on est plus ou moins d’accord sur beaucoup de points (ce qui explique peut-être pourquoi ça se passe bien au final), mais là où ça casse c’est bien sur la possibilité d’émancipation totale du designer et de l’esthétique, notamment quand vous suggérez que désinscrire le design de sa dimension visuelle est une nécessité dans le cadre de son évolution. Déjà car je pense que cette démarche ne peut pas englober toutes les branches du design, du moins aujourd’hui. En fait, j’ai l’impression que lorsque nous évoquons de telles démarches d’émancipation, nous nous adressons davantage du côté de la recherche en design, ou du « design théorique » pour reprendre le terme du « pape » Sottsass, mais pas à toute la pratique contemporaine du design. Et dans ce podcast j’essayais de faire une sorte de généralité, un « niveau 1 » pour rester accessible à des novices (entre nous j’aurai ADORÉ faire une vidéo de 6h, mais la Galerie pour laquelle j’ai réalisé cette vidéo m’a supplié de ne pas dépasser 20 min…) . Ensuite, même si je dois vous avouer que je trouve cette réflexion d’émancipation de l’image très intéressante, j’émets quelques doutes sur son résultat. Sans surprise, je pense qu’aujourd’hui c’est impossible. Je ne suis pas une experte de Debord (La société du spectacle est dans ma To-read-list depuis des mois, et je le repousse encore et encore, honte à moi….) et à votre lecture je sens que de votre côté vous maîtrisez plus le sujet donc je ne devrais peut-être pas m’aventurer sur le terrain, mais tant pis je tente : question ouverte, pourquoi Debord alterne entre écrans blancs et écrans noirs dans son Hurlement en faveur de Sade ? Pourquoi pas des écrans rouges ? verts ? Pourquoi ce choix d’une voix d’Homme ? et pas celle d’une femme ou d’un enfant ? Je n’ai pas la réponse, mais mon début d’avis est que malgré toute la volonté du monde, il n’a pas pu y échapper. Ces choix ne seraient-ils pas -en partie- des choix esthétiques ? Soit ils répondent à ses goûts, soit à ceux de son public (mais je ne suis pas sûre que Debord avait un public à cette époque…), soit pire encore : ils traduisent une symbolique et là on nage en pleine réflexion esthétique. Après peut-être que c’est moi qui fais un peu facilement le raccourci entre « esthétique » et « apparence », ou entre « esthétique » et « forme ». Ce que j’entends par esthétique en tout cas c’est la réflexion sur l’aspect visuel du produit bien entendu, donc cette question « casse-gueule » justement du beau, entrainant alors avec elle celle du goût. Mais de ces notions relève la capacité d’un produit d’être visible et intéressant pour les individus (plutôt qu’attirant, ce terme sonne un peu trop marketing pour moi et peut porter à confusion). En tout cas, je vous rejoins totalement sur ce fameux credo que du fond découle la forme. Que le designer est, du début jusqu’à la fin du processus de conception guidé par la fonction de son produit. Mais la fonction est un bien grand mot qui entend certes la « fonction fonctionnelle » (à quoi sert cet objet ?), mais aussi bien d’autres fonctions, notamment la « fonction symbolique », la « fonction de lecture »… ces fonctions qui touchent encore une fois à cette relation intime et en même temps irrationnelle entre les individus et leurs objets, qui (pour moi en tout cas) est un peu le nerf de la guerre dans la pratique design. On touche alors à des notions de bien-être, de bonheur, de plaisir pour l’individu…et a fortiori au beau et au goût encore une fois. Et… je pense qu’à partir de là on n’est plus d’accord, mais foutu pour foutu je continue ;) Dans "Le Design : l’objet dans l’usage", les sociologues Sophie Dubuisson et Antoine Hennion définissent le métier de designer comme celui d’un concepteur de symbole. Selon eux, le designer reçoit sous forme littérale les informations techniques, marchandes et fonctionnelles de la part des industriels, du marketing et/ou des clients, et il lui revient de les « faire tenir » dans un concept qui fait sens et qui prend une forme. Bon alors là je vous l’accorde, on est sur une définition trèèès limitée du métier car justement elle cantonne le designer à une responsabilité purement esthétique et moi non plus je ne suis pas d’accord avec ça. Pour restituer le contexte de ce livre, Dubuisson et Hennion sont en observation dans des bureaux de designers industriels en 1996 (perso à ce moment-là j’étais un tout petit bébé). Autant vous dire qu’on a quand même fait un peu de chemin. Même si ce schéma persiste encore aujourd’hui -c’est justement ce modèle que dénigre Alain Cadix quand il appuie que le design n’est pas une opération à réaliser en bout de chaine- mais je m’égare ^^’. Ce à quoi je souhaite en venir, c’est que malgré tout je pense que tout n’est pas à jeter dans cette définition, car ils ont mis le doigt sur quelque chose que je trouve très pertinent, et pas seulement pour la branche industrielle du design : « la force différenciante » du designer (ce qui fait que l’intervention d’un designer dans la conception est nécessaire -bien que non suffisante- car aucun autre corps de métier peut « mieux » faire que lui sur ce point). Dubuisson et Hennion appuient dès 96 que le designer est le seul doté de l’expertise de caractériser un produit, de lui donner du sens, une cohérence… à travers l’outil esthétique. Sans la participation d’un designer dans un projet, le produit final n’est qu’un amas de matière qui existe à travers ses performances techniques, fonctionnelles et marchandes, mais qui ne fait pas sens, n’exprime rien, n’évoque rien… Ils parlent d’ « objet-matière », un produit dépourvu de la pensée design dans sa conception. Le designer, lui, a pour responsabilité de passer de « l’objet-matière » à « objet-idée » (l’objet-idée est doté d’une symbolique, d’un sens, d’un pouvoir évocateur, qui lui permet d’être visible et accessible pour les individus). Et pour ce faire, le designer intervient sur la surface (frontière entre l’intérieur de l’objet et son extérieur / passage des mots à la réalité), c’est-à-dire l’apparence de l’objet, son contact et sa prise. Autrement dit tout son dessin. Bon ok, cette toute dernière phrase elle est de moi… Bref pourquoi je dis tout ça, parce que je pense que le designer, dans sa pratique, ne peut pas nier son lien avec l’esthétique car c’est à lui, plus qu’à n’importe quel autre corps de métier, qu’il appartient de donner un corps, une enveloppe, à son produit (ou du moins une apparence, une vitrine, un son, voire un ressenti, si on parle de produit immatériel). Simplement parce qu’il le fait mieux que les autres ET que c’est indispensable pour les individus aujourd’hui de se rattacher à l’aspect et à la forme. Le propre du designer c’est aussi de comprendre toute l’intimité et la relation qu’ont les individus avec leurs objets au quotidien. Après il est bien entendu que ses responsabilités vont au-delà et là je vous rejoins sur tout ce que vous dites sur la nécessité d’aller au-delà de la forme. Mais ce n’est pas parce qu’on dépasse quelque chose, qu’on l’oublie pour autant. Les démarches des designers vont plus ou moins loin dans la réflexion, mais quand on les aligne, j’ai l’impression que le seul petit point commun qu’on peut leur trouver, c’est cette préoccupation de l’esthétique finale du produit. Chez certains, cette préoccupation prend beaucoup de place, chez d’autres elles est minime face aux autres préoccupations qui enrichissent le concept. Du moins c’est mon avis :) Je m’arrête là parce que ces commentaires commencent à être plus longs que la vidéo qu’ils sont censés commenter… En passant, j’ai hâte de retrouver votre chaîne YT (ou tout autre média) à propos de tous ces questionnements sur la pratique du design, en particulier de vos objets aliénés qui ont attisé ma curiosité :) Alexia
1/2 @Les Élucubrateurs d'images Bonjour Alexia, Dans cette réponse j’essaierais de ne pas (trop) relancer le débat, répondant principalement à vos questions directes. De deux choses l’une : je trouve votre réponse tout à fait pertinente. Je n’y vois pas l’intérêt d’y recouper encore et encore… Deuxièmement, ma non-réponse aura pour but de clarifier mes déclarations précédentes à la vue de la votre. De cette manière, la présente non-réponse sera tout de même la continuité de notre échange, s’inscrivant ainsi dans le prolongement de notre débat. -Niant ainsi tout ce que je viens de dire, ça promet…- Avant tout, je note que vous avez observé vous même la distinction à faire entre l’émancipation esthétique (qui tend vers le beau, qui relève de la beauté) et l’émancipation visuelle, qui elle me paraît bien plus compliquée puisque le design s’adresse la majeur partie du temps à des individus par leurs sens. Je n’ai d’ailleurs pas d’exemple de design conceptuel hors de toute dimension sensible qui vienne à moi. Peut-être est-ce par manque de culture ? Peut-être existe t’il une théorie rationaliste du design, je ne la connais pas ! -L’imaginer pourrait être amusant d’ailleurs- Toujours est-il que je ne parles pas de l’émancipation visuelle mais bien de la dimension esthétique. Ce que je nommais « l’avènement matériel du concept » recoupait à toutes les incarnations réelles du produit design, y compris sa dimension visuelle. Et je ne considère pas qu’extraire l’esthétique du design soit nécessaire à son propre dépassement, je considère qu’il doit être inhérent à la pratique même du design que l’esthétisme ne s’accomplit que pour servir le fond conceptuel, ce qui le rend sensiblement secondaire. Je dois avouer que j’ai souris en lisant votre comparaison à l’approche du « design théorique », ayant moi-même une conception très politique du design, ce qui n’est pas tant le cas de tous les praticiens. Encore une fois, vous visez juste. :)
2/2 Pour Debord, quelques pistes de réponses sans prétendre répondre à tout : La force de ce film, c’est de nous sortir de notre zone de confort, c’est de nous forcer à créer nos propres images. De nous empêcher de réduire notre pensée à ce que nous constatons. Lorsque j’évoque « un cinéma désaliénant », c’est précisément ce à quoi je renvoi : la sortie des dogmes picturaux de l’image au sein même du cinéma. Et ce n’est pas la seule forme de films qui jouent avec notre perception de ce qu’est le cinéma et ce qu’il peut nous proposer. Ici, c’est l’idée même d’animation qui prend une claque. D’autres réalisateurs visent le schéma narratif, les codes du médium, l’utilisation de la caméra… Le cinéma est avant-tout conçu en noir et blanc, les productions de Debord s’inscrivent dans cette conception. Avec lui, on travail encore sur la pellicule. De plus, la conception de la couleur a beaucoup changé entre nos époques et la sienne, surtout dans le cinéma. Il n’est pas rare que la conception graphique du cinéma se fasse encore ainsi : « L’image en noir et blanc est plus fidèle au réel que la retranscription baveuse de couleurs infidèles ». Dans ses ouvrages, Michel Pastoureau revient souvent sur le changement de paradigme colorimétrique dans l’image, opposant notre époque contemporaine avec les anciennes images. Sans savoir quels sont les partis pris réels de Debord, on peux aussi postuler sur les traditionnels ombres/lumières, le muet et le parlant etc. Ce choix peut donc s’expliquer autant pour des raisons techniques, symboliques que de partis pris graphiques. Et je n’ai pas de mal à imaginer que ce soit encore tout autre chose. Je sais notamment que l’écran noir voulait proposer au spectateur de confronter sa propre imagination et de l’apposer à l’écran. Peut-être que le choix du noir est dû à la couleur de ce que nous voyons en fermant les yeux ? Il y a des voix d’hommes (celle de Debord entre autres) et de femmes. Sans doute ne peut-il s’émanciper de la notion esthétique, après tout il est sujet créateur non-objectif : il ne peut s’affranchir de lui-même. En revanche, il faut noter que ce sont des choix esthétiques qui s’affranchissent de l’image (au sens pictural, on se rend très bien compte que l’image symbolique est bien présente). Pour aller plus loin, et si « La société du spectacle » vous empêche de pénétrer dans l’œuvre, je ne peux que vous conseiller de vous introduire à lui par « Commentaires sur la société du spectacle », un ouvrage plus tardif, plus court et plus accessible. « Après peut-être que c’est moi qui fais un peu facilement le raccourci entre « esthétique » et « apparence », ou entre « esthétique » et « forme ». Ce que j’entends par esthétique en tout cas c’est la réflexion sur l’aspect visuel du produit bien entendu, donc cette question « casse-gueule » justement du beau, entrainant alors avec elle celle du goût. » Précisément. La réflexion quant à la forme visuelle ne cherche pas forcément à passer par une conception du beau. D’où le distinguo à faire entre visuel et esthétique. C’était d’ailleurs toute la thématique de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2015, « Les sens du beau », d’où j’ai tiré ma première « véritable » approche du design, encore très vivante aujourd’hui. J’irais même plus loin en disant que la réflexion sur l’esthétique ne doit peut pas se cantonner à une recherche « hellénisante du beau » comme idéal objectif. Les goûts se forgent et se modélisent, le design les accompagne, d’où ma métaphore du miroir face au miroir ! S’affranchir de l’esthétique, c’est aussi proposer une « idée » de l’esthétique. Pas simplement s’en éloigner pour la forme. D’où le recentrage sur le concept dans ma définition : même la représentation est conceptuelle dans le design. C’est pour cette raison que je ne réponds pas à cette affirmation, elle va bien au delà de notre sujet de départ : « Ensuite, même si je dois vous avouer que je trouve cette réflexion d’émancipation de l’image très intéressante, j’émets quelques doutes sur son résultat. Sans surprise, je pense qu’aujourd’hui c’est impossible. » La définition que me semblent donner Dubuisson et Hennion est assez proche de la praxis que je critique. Et c’est pourquoi je la trouve assez juste à sa manière, je vous remercie pour cette référence ! La conclusion sur l’idée d’objet-matière opposée à celle d’objet-idée est assez intéressante. Sur ce point, je retrouve effectivement un bon terrain d’entente. J’aime également l’idée de force différenciante. Ce qui me pose souci, c’est que je ne suis pas certain que l’intervention du designer insuffle une qualité supplémentaire, je dirais qu’elle renforce surtout la pratique marchande de l’objet, passant d’objet-matière à objet-commerciale. Au fait, j’aime beaucoup leur proposition (implication du concept, de l’idée, de la responsabilité) mais je n’ai pas l’impression qu’elle corresponde à la pratique majoritaire. Vous revenez ensuite à une assimilation entre traduction du signe, langage visuel et langage esthétique. Pourtant chacun de ces partis peut-être expression autonome d’une qualité de l’objet, ils n’ont pas besoin d’être au centre de toutes les productions. Et c’est là que j’ai du mal avec cette centralisation de la question esthétique : elle s’apprête le plus souvent à de l’emballage. Au lieu de donner de la substance à la production, elle sert de maquillage… Car même hors-propos, elle devient première, effaçant par là l’essence du produit. De plus, je ne suis pas du tout d’accord avec l’indispensabilité pour les individus de se rattacher à l’aspect et à la forme, c’est précisément là que nous avons une discorde, bien plus que sur tout le reste de notre discussion, presque anecdotique en comparaison ! Nous sommes responsable de cette pseudo-nécessité en tant que designers, et c’est en cela que je crois nécessaire l’affranchissement de ce diktat. Nous forgeons chaque jours cette société, renforçant ses travers, appuyant nos peines. Nous nous rendons complice d’elle, du culte de l’image, de l’omniprésence publicitaire, de la disparition des espaces vierges, de l’impossibilité à l’ennui, de la sacralisation du divertissement etc. Je ne suis pas naïf, je ne dis pas que nous devons outrepasser la transcription visuelle et matérielle des artéfacts, je crois surtout que nous devons réaliser notre propre implication dans l’entretien d’un système rendant les individus étrangers à eux-mêmes, et proposer des espaces de réserve, d’émancipation… Le design doit rendre libre, on y revient ;) « c’est à lui, plus qu’à n’importe quel autre corps de métier, qu’il appartient de donner un corps, une enveloppe, à son produit (ou du moins une apparence, une vitrine, un son, voire un ressenti, si on parle de produit immatériel). » Pour citer Marlène Schiappa citant Spider-Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » Pour terminer, je tiens aussi à nuancer mon propos : Il est évident que le design ne peux se réduire à l’approche vitrine. Il y a autant d’approches que de praticiens. Ce que je fustige, c’est une pratique dominante à mes yeux. C’est l’entretien d’un monde que nous refusons souvent dans nos engagements personnels et nos valeurs. C’est le manque de cohérence entre la volonté du praticien et son effectivité, entrainant un éloignement du produit avec le producteur. Je vous remercie pour cet échange, qui est vivifiant tant en références qu’en idées, je n’avais pu m’entretenir sur le sujet depuis un moment et j’en suis ravi :) Jonas
Houaou ! J'ai trouvé votre exposé très fluide, clair et pertinent !!! Quand on veut découvrir le design et sa pensée en un temps record, c'est l'idéal. Merci :)
Très bonne définition avec beaucoup de précisions merci.
Bonjour,
Merci pour cette vidéo et pour votre chaine que je découvre à l'instant et grâce à laquelle je me replonge dans mes années lycée en arts appliqués. :)
Je trouve que l'on parle trop souvent des termes "esthétique", "fonction", "usage" mais nous omettons de les classifier.
Ayant eu la chance d'avoir eu de très bons professeurs je permets de laisser un commentaire avec les souvenirs qu'il me reste de ces cours haha.
Mes professeurs utilisaient un formulation simple pour qualifier la notion de Design. Ils nous disaient de retenir l'idée que le Design est "un processus de conception". De mon côté, je l'entends comme conception physique mais aussi spirituelle. Aussi, Il y a dans cette 'définition' la question d'un temps qui passe, de la réflexion, de plusieurs étapes.... Donc selon moi, l'objet fini correspond à un trait d'union, entre un avant et un après, au sein même de ce processus -comme l'architecture-, ce qui s'oppose totalement à l'expression du terme "Design" comme mot fourre tout.
Étant donné que le 'design' s'inscrit dans un temps plus ou moins long, l'objet d'étude au centre du questionnement a pour but de dégager les notions de Valeurs d'Usage et Valeurs d'Estime. C'est valeurs comprennent les catégories suivantes :
-ERGONOMIQUE (confort, facilité d'usage etc...)
-FORMELLE (dimension, codes, couleur, texture... Etc)
-TECHNOLOGIQUE (usage materiaux /propriété, symbolique/ Procédé de fabrication etc...
-POETIQUE (expression, symbolique, imaginaire...)
-FONCTIONNELLE
-SOCIOLOGIQUE (prix, impact, cible -besoin-)
Et enfin
- SÉMANTIQUE > donner du sens.
Tout ça correspondant alors au choix et à l'intention du/des créateur(s) puis à son/leur expression(s) et à ce que le public en fera. (Et dont l'objet fini a donc un destin commercial)
J'espère que mon commentaire est assez clair haha, ça fait un moment que je n'ai pas remis mon nez dans mes cahiers.
Merci de m'avoir lu :) je serais ravie d'avoir un retour à ce commentaire!
Je m'abonne de ce pas à votre chaîne ! Belle journée 🌞
De mon point de vue de designer et d’artiste plasticien je dirais que la spécifique du designer réside précisément dans cet espace collaboratif avec les autres disciplines (artisanales, scientifiques, musicographiques…). C’est dans cet espace précis que le métier prend son sens. Réfléchir à l’harmonisation entre forme, esthétique et fonction fait bien entendu partie du métier mais on peut retrouver cette façon de penser la production d’objets dans l’artisanat, et ce depuis l’antiquité. Merci d’avoir soulevé cette question dans votre conclusion !
Analyse subtile du terme "design", qui est en effet "casse gueule" et qui a de multiple facettes (du design industriel connu au design conceptuel moins connu)
Merci beaucoup 🙏🏻 Oui on aime bien se compliquer la vie ... Autant donner le ton de la chronique de suite!
Pas certain de l'indiscociabilité du travail de l'esthétique, nos pratiques contemporaines ont largement prouvé que le design ne touchait plus uniquement la réalisation productive visuelle mais aussi la réalisation productive purement conceptuelle. Je pense par exemple à la distinction relativement récente du designer U.I. au designer U.X.
Le design s'est éloigné du réel, comme la majorité de nos pratiques et de nos pensées, il vit de manière conceptuelle dans des espaces numériques. Sa réalisation matérielle n'est plus nécessaire à son accomplissement substantiel.
J'ai toujours été relativement peu satisfait des définitions traitant le design comme objet esthétique, ayant l'impression que la pratique du design tournait bien plus dans la conception de l'usage (traduit la majeure partie du temps par un objet esthétique autonome).
Dans le cadre d'un design territorial/urbain, peut-on vraiment parler d'un travail de l'esthétisme lors de la conception de l'agencement de la chaussée ? Lors de la conception d'une plaque d'égoûts, ne décrit on sa forme par conception d'usage, sa matérialité définissant d'elle même sa forme ?
Cette conception du design dans le prisme de la dimension esthétique me paraît exclure une portion conséquente de la réalité du design aujourd'hui...
Peut être que je passe à côté de votre proposition ?
Bonjour Jonas! Tout d’abord je voulais vous remercier pour votre message, c’est la première fois qu’on me pose une question et je suis trop trop contente!! Plus sérieusement, je comprends tout à fait votre point de vue : c’est ça qui est toujours intéressant avec le design, comme avec la plupart des domaines professionnels, plus on avance dans le temps, plus des sous-branches se multiplient, se rejoignent ou divergent... et des professionnels d’un même domaine tombent en désaccord sur leur propre discipline.
J’entends tout à fait que le designer n’est pas emprisonné dans la case esthétique et que sa réflexion doit outrepasser de simples questionnements visuels, pour se concentrer sur le concept, l’usage et la stratégie d’un projet (physique comme digital). C’est le ton que j’ai essayé de donner à tout ce podcast. Celui-ci s’adressant aussi à des novices, je me devais de commencer par le fameux combo « beau-utile », pour ensuite faire décoller cette réflexion vers d’autres problématiques.
Mais- et là ce n’est que mon avis personnel (comme je le précise déjà en amont de ma toute dernière partie)- ça ne me dérange pas de commencer par ce combo car je fais partie de ces designers qui considèrent que l’esthétique fait encore partie intégrante de la réflexion de design. Je ne dirais pas que l’esthétique l’emporte sur l’usage, mais je ne dirais pas l’inverse non plus. Concevoir quelque chose sans songer à son aspect visuel, c’est selon moi considérer que les personnes pour qui je crée un objet, une plateforme ou un service n’accordent pas d’importance à son esthétique. Et ça je pense que c’est faux. Entre nous, je ne suis pas UX/UI designer, mais je reste une usager. Et en tant que telle : 1/ je ne pense pas que mon monde est en train de se dématérialiser, mais plutôt qu’un second monde immatériel vient s’entrecroiser avec mon premier monde bien physique (entre nous, il n’y a rien de plus matériel qu’un serveur en Chine qui crache ses pleins poumons pour montrer un gif de chat)
2/ je ne pense pas que l’immatérialité soit soumise à une « exception esthétique ». Dans le sens où même si le produit est immatériel, sa forme, son aspect visuel doivent être pensés. Encore une fois je pars sur un exemple très personnel, mais quand je vois les films d’animation de Mamoru Hosoda, je ne comprends pas pourquoi en 2021 mes réseaux sociaux sont aussi pauvres esthétiquement parlant. Facebook, Instagram, Twitter... toutes les plateformes se ressemblent, et ça m’ennuie à un poiiiiint... La seule excuse que je trouve à ce phénomène c’est « l’usage pur ». C’est-à-dire, une volonté des créateurs d’étendre un même modèle épuré et minimaliste, avec la même bibliothèque de gestes, pour permettre une utilisation et une adaptabilité plus rapide pour les usagers d’une plateforme à l’autre... peut-être ? encore une fois ce n’est pas mon métier. Moi au final, je trouve ça juste un peu dommage car d’une plateforme à l’autre je vis exactement la même expérience, car je ne pense pas que design minimaliste et épuré veuille dire design universel. Ce n’est qu’une esthétique parmi d’autres, dont certaines n’ont pas encore pu être pensées.
En fait, peu importe la partie du design qui est concernée (produit, urbanisme, espace/architecture, graphisme, service, interface, etc...) dans tous les cas enlever la variable esthétique du métier (qui est une variable parmi d’autres hein) reviens presque à parler d'un autre métier que celui de designer pour moi. Si on enlève la réflexion esthétique d’un UX designer, qu’est-ce qui le différencie d’un développeur ? Si on enlève la réflexion esthétique à un designer industriel, qu'est-ce qu'il peut apporter de plus qu'un ingénieur ?
Encore une fois, tout ceci n'est que mon avis sur cette profession. Un avis que j'ai voulu partager dans ce podcast et pour lequel je suis toujours très ouverte à la discussion :)
Alexia
@@leselucubrateursdimages5107 Merci pour cette réponse, vous éclairez déjà mieux ce que je n’avais pu cerner dans votre propos !
Dans un premier lieu, je crois que nous avons un désaccord radical sur la question de la qualité esthétique. Heureusement pour nous, « Le conflit n’est pas une aggression » comme dirait l’autre.
L’existence de courants comme le « No Design », cherchant à s’affranchir du diktat esthétique, appuie justement ce parti pris hors de « l’esthétique au sein de la conception ». C’est la fameuse idée que du fond nait la forme (que je défendais déjà avec l’image de la plaque d’égouts, mais qu’on peut étendre à nombre d’artéfacts de design).
J’ai tendance à citer, et étendre au design entier, la définition que donne Béatrice Warde de la typographique dans son court essai « La typographie ou le verre en cristal ». Cette idée s’inscrit plus largement dans une conception du design articulé autour de problématiques et non autour d’une dimension ornementale. Nous définissons ainsi le design avant tout comme « le travail de la définition de l’usage », s’articulant avant tout sur la création de conception. La forme, la réflexion esthétique, n’en devient qu’une intervention finale et secondaire, comme l’avènement matériel du concept. Bien sur, il se peut que l’essence du concept soit l’esthétique, ce n’est pas contradictoire.
Cela me mène à une critique de la praxis du design très répandue, que vous citez deux fois sans l’approfondir (encore heureux, votre vidéo dure moins de 6 heures) :
- La pratique du design, que l’on peut qualifier « design d’ornement » dans un paradigme capitaliste, dont la qualité esthétique n’a pour but que la vente de la production, et la conversion de la pratique artisanal à une industrialisation massive des artéfacts.
- La production de produits aliénés, étrangers même aux designers les ayants conçus, ces derniers n’inscrivant pas leur pratique dans une conception philosophique, historique, politique et productive. Vous en citez l’une des manifestation lors de l’évocation de l’entre soi dans la vidéo, ainsi que lorsque vous évoquez le lissage de la production - à tort nommée « créative » -. Vous l’évoquez également dans votre réponse lors de votre analyse de la répartition ad nauseam des mêmes principes de conception « UX » sur tous les sites que vous visitez.
Vous dites par ailleurs que dans votre conception, créer un contenu sans penser avant tout -ou au moins tout autant- au contenant serait « considérer que les personnes pour qui je crée un objet, une plateforme ou un service n’accordent pas d’importance à son esthétique. » Je crois que concevoir une plateforme sans songer à son aspect visuel lors de son idéation est un acte qui dépasse la considération du « goût » de celui à qui je m’adresse. Pour ma part, il s’agirait d’avantage d’une revendication philosophique et politique, visant à un affranchissement du conditionnement hégémonique de l’image. Je considère le design comme un miroir face au monde, façonnant celui-ci autant que celui-ci le façonne. -J’espère développer ce point un jour, je vous ferais signe ;)- Désinscrire le design de sa dimension visuelle est pour moi une nécessité dans le cadre d’une évolution de sa pratique. Quitte à nous citer chacun une référence cinématographique, moi je choisirais « Hurlement en faveur de Sade » de Debord, qui s’inscrit dans la pratique désaliénante du cinéma.
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Pour votre /1 Je suis tout à fait d’accord avec vous, dans cette vision matérielle et cette notion de « surcouche » au réel de ce qu’est le numérique. Je parlais « d’éloignement du réel » dans un sens situationniste. J’aurais tout aussi bien pu parler d’une « pratique du réel spectaculaire ». Notre évolution au sein des espaces numériques ne s’inscrit pas en porte à faux avec la réalité mais dedans. Cependant, elle la modifie drastiquement, pour le meilleur et pour le pire.
2/ Vous posez ici la problématique des objets de design aliénés. Comme dit précédemment, je lie cela à plusieurs causes dont l’usage capitaliste et liberal du design. Les usages de ces sites ne sont pas conçus comme des « expérimentations » mais comme des répétitions de canons autonomes. Ceux-ci forgent autant nos habitudes que nos répétions les forgent, d’où leur autonomie et la production de leur propre justification. Ce design dit « minimal » intervient partout à la manière de ce lissage évoqué précédemment : l’hégémonie de ces canons est inévitable dans une pratique libérale. C’est le système qui justifie le système : nos habitudes se conditionnent au point de refuser une expérience qui sorte de ce cadre. Ce que nous nommons « contre intuitif » l’est bien souvent uniquement pour cause d’un conditionnement à une autre norme.
On revient sur ce que vous disiez plus tôt quant au manque de considération du goût si la conception esthétique n’est pas intégré dans le processus de conception, c’était considérer que les individus n’accordaient pas d’importance à l’esthétique. Pour moi, il s’agit surtout de questionner notre sens du beau, de l’esthétique justement.
Je serais ravi de détailler avec vous ce que je nomme « objets de design aliénés » mais ce commentaire est déjà bien trop long ! Retenons cependant qu’il s’agit précisément de la négation de la conception, et donc de la négation absolue de design à mon sens.
ENFIN, ce qui distingue le designer U.X. du développeur, c’est selon moi l’essence même de la conception face à celle de la réalisation.
Si j’imagine une pièce dans un travail de design, permettant une exploration sensible, ce n’est pas parce que je n’accomplis pas la réalisation effective de mon idéation que j’en perds mon statut de designer. D’où la nécessité de votre distinction avec l’artisanat justement !! Quant à l’ingénieur, je dirais qu’il se distingue du designer, précisément parce que ce dernier n’est pas réduit au fonctionnalisme seul. C’est toute une dimension capitale à la notion de design pour moi : dans notre réflexion, nous devons proposer une émancipation. Ce que je résume bêtement par « Le design doit rendre libre ».
Je vois le design comme pont entre les arts (fondamentalement inutiles à la production) et les techniques productives. C’est une discipline indissociable d’une société industrialisée qui ne veut se réduire au froid fonctionnalisme. On pourrait dire de ma position qu’elle brouille les limites entre le designer et l’artiste et à raison. Je crois que le designer est l’un des dépassements dialectique de l’artiste. D’où ma critique, et ma position, quant à sa praxis actuelle.
Je vous remercie encore pour cette vidéo, et comme vous le disiez, il est possible de réfléchir encore profondément sur la question du design et de ce qu’il incarne. Je suis ravi d’échanger avec vous à ce propos, et le serais encore plus d’avoir vote retour sur ces positions. Dites moi également si l’un des points ci dessus mérite un approfondissement.
Si je lance une chaîne TH-cam sur le sujet, je vous ferais signe :p
Jonas
Bonjour @@jonasnujaym6985 ! Déjà, sachez que vos commentaires sont devenus mon nouveau podcast-métro du moment et pour mon plus grand plaisir !! Je suis ravie de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet et c’est encore plus intéressant quand on n’est pas d’accord sur tout. Je m’excuse par ailleurs pour les pavés qui vont suivre, il ne s’agit pas d’une démonstration de qui a raison et qui a tort, mais au contraire de quelques tentatives de réponses à beaucoup de questions que je me pose encore et dont mon psy ne veut plus entendre parler.
En fait, j’ai finalement l’impression qu’on est plus ou moins d’accord sur beaucoup de points (ce qui explique peut-être pourquoi ça se passe bien au final), mais là où ça casse c’est bien sur la possibilité d’émancipation totale du designer et de l’esthétique, notamment quand vous suggérez que désinscrire le design de sa dimension visuelle est une nécessité dans le cadre de son évolution. Déjà car je pense que cette démarche ne peut pas englober toutes les branches du design, du moins aujourd’hui. En fait, j’ai l’impression que lorsque nous évoquons de telles démarches d’émancipation, nous nous adressons davantage du côté de la recherche en design, ou du « design théorique » pour reprendre le terme du « pape » Sottsass, mais pas à toute la pratique contemporaine du design. Et dans ce podcast j’essayais de faire une sorte de généralité, un « niveau 1 » pour rester accessible à des novices (entre nous j’aurai ADORÉ faire une vidéo de 6h, mais la Galerie pour laquelle j’ai réalisé cette vidéo m’a supplié de ne pas dépasser 20 min…) .
Ensuite, même si je dois vous avouer que je trouve cette réflexion d’émancipation de l’image très intéressante, j’émets quelques doutes sur son résultat. Sans surprise, je pense qu’aujourd’hui c’est impossible. Je ne suis pas une experte de Debord (La société du spectacle est dans ma To-read-list depuis des mois, et je le repousse encore et encore, honte à moi….) et à votre lecture je sens que de votre côté vous maîtrisez plus le sujet donc je ne devrais peut-être pas m’aventurer sur le terrain, mais tant pis je tente : question ouverte, pourquoi Debord alterne entre écrans blancs et écrans noirs dans son Hurlement en faveur de Sade ? Pourquoi pas des écrans rouges ? verts ? Pourquoi ce choix d’une voix d’Homme ? et pas celle d’une femme ou d’un enfant ? Je n’ai pas la réponse, mais mon début d’avis est que malgré toute la volonté du monde, il n’a pas pu y échapper. Ces choix ne seraient-ils pas -en partie- des choix esthétiques ? Soit ils répondent à ses goûts, soit à ceux de son public (mais je ne suis pas sûre que Debord avait un public à cette époque…), soit pire encore : ils traduisent une symbolique et là on nage en pleine réflexion esthétique.
Après peut-être que c’est moi qui fais un peu facilement le raccourci entre « esthétique » et « apparence », ou entre « esthétique » et « forme ». Ce que j’entends par esthétique en tout cas c’est la réflexion sur l’aspect visuel du produit bien entendu, donc cette question « casse-gueule » justement du beau, entrainant alors avec elle celle du goût. Mais de ces notions relève la capacité d’un produit d’être visible et intéressant pour les individus (plutôt qu’attirant, ce terme sonne un peu trop marketing pour moi et peut porter à confusion).
En tout cas, je vous rejoins totalement sur ce fameux credo que du fond découle la forme. Que le designer est, du début jusqu’à la fin du processus de conception guidé par la fonction de son produit. Mais la fonction est un bien grand mot qui entend certes la « fonction fonctionnelle » (à quoi sert cet objet ?), mais aussi bien d’autres fonctions, notamment la « fonction symbolique », la « fonction de lecture »… ces fonctions qui touchent encore une fois à cette relation intime et en même temps irrationnelle entre les individus et leurs objets, qui (pour moi en tout cas) est un peu le nerf de la guerre dans la pratique design. On touche alors à des notions de bien-être, de bonheur, de plaisir pour l’individu…et a fortiori au beau et au goût encore une fois.
Et… je pense qu’à partir de là on n’est plus d’accord, mais foutu pour foutu je continue ;)
Dans "Le Design : l’objet dans l’usage", les sociologues Sophie Dubuisson et Antoine Hennion définissent le métier de designer comme celui d’un concepteur de symbole. Selon eux, le designer reçoit sous forme littérale les informations techniques, marchandes et fonctionnelles de la part des industriels, du marketing et/ou des clients, et il lui revient de les « faire tenir » dans un concept qui fait sens et qui prend une forme. Bon alors là je vous l’accorde, on est sur une définition trèèès limitée du métier car justement elle cantonne le designer à une responsabilité purement esthétique et moi non plus je ne suis pas d’accord avec ça. Pour restituer le contexte de ce livre, Dubuisson et Hennion sont en observation dans des bureaux de designers industriels en 1996 (perso à ce moment-là j’étais un tout petit bébé). Autant vous dire qu’on a quand même fait un peu de chemin. Même si ce schéma persiste encore aujourd’hui -c’est justement ce modèle que dénigre Alain Cadix quand il appuie que le design n’est pas une opération à réaliser en bout de chaine- mais je m’égare ^^’. Ce à quoi je souhaite en venir, c’est que malgré tout je pense que tout n’est pas à jeter dans cette définition, car ils ont mis le doigt sur quelque chose que je trouve très pertinent, et pas seulement pour la branche industrielle du design : « la force différenciante » du designer (ce qui fait que l’intervention d’un designer dans la conception est nécessaire -bien que non suffisante- car aucun autre corps de métier peut « mieux » faire que lui sur ce point). Dubuisson et Hennion appuient dès 96 que le designer est le seul doté de l’expertise de caractériser un produit, de lui donner du sens, une cohérence… à travers l’outil esthétique. Sans la participation d’un designer dans un projet, le produit final n’est qu’un amas de matière qui existe à travers ses performances techniques, fonctionnelles et marchandes, mais qui ne fait pas sens, n’exprime rien, n’évoque rien… Ils parlent d’ « objet-matière », un produit dépourvu de la pensée design dans sa conception. Le designer, lui, a pour responsabilité de passer de « l’objet-matière » à « objet-idée » (l’objet-idée est doté d’une symbolique, d’un sens, d’un pouvoir évocateur, qui lui permet d’être visible et accessible pour les individus). Et pour ce faire, le designer intervient sur la surface (frontière entre l’intérieur de l’objet et son extérieur / passage des mots à la réalité), c’est-à-dire l’apparence de l’objet, son contact et sa prise. Autrement dit tout son dessin. Bon ok, cette toute dernière phrase elle est de moi…
Bref pourquoi je dis tout ça, parce que je pense que le designer, dans sa pratique, ne peut pas nier son lien avec l’esthétique car c’est à lui, plus qu’à n’importe quel autre corps de métier, qu’il appartient de donner un corps, une enveloppe, à son produit (ou du moins une apparence, une vitrine, un son, voire un ressenti, si on parle de produit immatériel). Simplement parce qu’il le fait mieux que les autres ET que c’est indispensable pour les individus aujourd’hui de se rattacher à l’aspect et à la forme. Le propre du designer c’est aussi de comprendre toute l’intimité et la relation qu’ont les individus avec leurs objets au quotidien. Après il est bien entendu que ses responsabilités vont au-delà et là je vous rejoins sur tout ce que vous dites sur la nécessité d’aller au-delà de la forme. Mais ce n’est pas parce qu’on dépasse quelque chose, qu’on l’oublie pour autant. Les démarches des designers vont plus ou moins loin dans la réflexion, mais quand on les aligne, j’ai l’impression que le seul petit point commun qu’on peut leur trouver, c’est cette préoccupation de l’esthétique finale du produit. Chez certains, cette préoccupation prend beaucoup de place, chez d’autres elles est minime face aux autres préoccupations qui enrichissent le concept. Du moins c’est mon avis :)
Je m’arrête là parce que ces commentaires commencent à être plus longs que la vidéo qu’ils sont censés commenter…
En passant, j’ai hâte de retrouver votre chaîne YT (ou tout autre média) à propos de tous ces questionnements sur la pratique du design, en particulier de vos objets aliénés qui ont attisé ma curiosité :)
Alexia
1/2
@Les Élucubrateurs d'images Bonjour Alexia,
Dans cette réponse j’essaierais de ne pas (trop) relancer le débat, répondant principalement à vos questions directes. De deux choses l’une : je trouve votre réponse tout à fait pertinente. Je n’y vois pas l’intérêt d’y recouper encore et encore… Deuxièmement, ma non-réponse aura pour but de clarifier mes déclarations précédentes à la vue de la votre. De cette manière, la présente non-réponse sera tout de même la continuité de notre échange, s’inscrivant ainsi dans le prolongement de notre débat.
-Niant ainsi tout ce que je viens de dire, ça promet…-
Avant tout, je note que vous avez observé vous même la distinction à faire entre l’émancipation esthétique (qui tend vers le beau, qui relève de la beauté) et l’émancipation visuelle, qui elle me paraît bien plus compliquée puisque le design s’adresse la majeur partie du temps à des individus par leurs sens.
Je n’ai d’ailleurs pas d’exemple de design conceptuel hors de toute dimension sensible qui vienne à moi. Peut-être est-ce par manque de culture ? Peut-être existe t’il une théorie rationaliste du design, je ne la connais pas ! -L’imaginer pourrait être amusant d’ailleurs-
Toujours est-il que je ne parles pas de l’émancipation visuelle mais bien de la dimension esthétique. Ce que je nommais « l’avènement matériel du concept » recoupait à toutes les incarnations réelles du produit design, y compris sa dimension visuelle. Et je ne considère pas qu’extraire l’esthétique du design soit nécessaire à son propre dépassement, je considère qu’il doit être inhérent à la pratique même du design que l’esthétisme ne s’accomplit que pour servir le fond conceptuel, ce qui le rend sensiblement secondaire.
Je dois avouer que j’ai souris en lisant votre comparaison à l’approche du « design théorique », ayant moi-même une conception très politique du design, ce qui n’est pas tant le cas de tous les praticiens. Encore une fois, vous visez juste. :)
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Pour Debord, quelques pistes de réponses sans prétendre répondre à tout :
La force de ce film, c’est de nous sortir de notre zone de confort, c’est de nous forcer à créer nos propres images. De nous empêcher de réduire notre pensée à ce que nous constatons. Lorsque j’évoque « un cinéma désaliénant », c’est précisément ce à quoi je renvoi : la sortie des dogmes picturaux de l’image au sein même du cinéma. Et ce n’est pas la seule forme de films qui jouent avec notre perception de ce qu’est le cinéma et ce qu’il peut nous proposer. Ici, c’est l’idée même d’animation qui prend une claque. D’autres réalisateurs visent le schéma narratif, les codes du médium, l’utilisation de la caméra…
Le cinéma est avant-tout conçu en noir et blanc, les productions de Debord s’inscrivent dans cette conception. Avec lui, on travail encore sur la pellicule. De plus, la conception de la couleur a beaucoup changé entre nos époques et la sienne, surtout dans le cinéma. Il n’est pas rare que la conception graphique du cinéma se fasse encore ainsi : « L’image en noir et blanc est plus fidèle au réel que la retranscription baveuse de couleurs infidèles ». Dans ses ouvrages, Michel Pastoureau revient souvent sur le changement de paradigme colorimétrique dans l’image, opposant notre époque contemporaine avec les anciennes images. Sans savoir quels sont les partis pris réels de Debord, on peux aussi postuler sur les traditionnels ombres/lumières, le muet et le parlant etc. Ce choix peut donc s’expliquer autant pour des raisons techniques, symboliques que de partis pris graphiques. Et je n’ai pas de mal à imaginer que ce soit encore tout autre chose. Je sais notamment que l’écran noir voulait proposer au spectateur de confronter sa propre imagination et de l’apposer à l’écran. Peut-être que le choix du noir est dû à la couleur de ce que nous voyons en fermant les yeux ?
Il y a des voix d’hommes (celle de Debord entre autres) et de femmes.
Sans doute ne peut-il s’émanciper de la notion esthétique, après tout il est sujet créateur non-objectif : il ne peut s’affranchir de lui-même. En revanche, il faut noter que ce sont des choix esthétiques qui s’affranchissent de l’image (au sens pictural, on se rend très bien compte que l’image symbolique est bien présente).
Pour aller plus loin, et si « La société du spectacle » vous empêche de pénétrer dans l’œuvre, je ne peux que vous conseiller de vous introduire à lui par « Commentaires sur la société du spectacle », un ouvrage plus tardif, plus court et plus accessible.
« Après peut-être que c’est moi qui fais un peu facilement le raccourci entre « esthétique » et « apparence », ou entre « esthétique » et « forme ». Ce que j’entends par esthétique en tout cas c’est la réflexion sur l’aspect visuel du produit bien entendu, donc cette question « casse-gueule » justement du beau, entrainant alors avec elle celle du goût. »
Précisément. La réflexion quant à la forme visuelle ne cherche pas forcément à passer par une conception du beau. D’où le distinguo à faire entre visuel et esthétique. C’était d’ailleurs toute la thématique de la Biennale Internationale Design Saint-Étienne 2015, « Les sens du beau », d’où j’ai tiré ma première « véritable » approche du design, encore très vivante aujourd’hui.
J’irais même plus loin en disant que la réflexion sur l’esthétique ne doit peut pas se cantonner à une recherche « hellénisante du beau » comme idéal objectif. Les goûts se forgent et se modélisent, le design les accompagne, d’où ma métaphore du miroir face au miroir ! S’affranchir de l’esthétique, c’est aussi proposer une « idée » de l’esthétique. Pas simplement s’en éloigner pour la forme. D’où le recentrage sur le concept dans ma définition : même la représentation est conceptuelle dans le design.
C’est pour cette raison que je ne réponds pas à cette affirmation, elle va bien au delà de notre sujet de départ : « Ensuite, même si je dois vous avouer que je trouve cette réflexion d’émancipation de l’image très intéressante, j’émets quelques doutes sur son résultat. Sans surprise, je pense qu’aujourd’hui c’est impossible. »
La définition que me semblent donner Dubuisson et Hennion est assez proche de la praxis que je critique. Et c’est pourquoi je la trouve assez juste à sa manière, je vous remercie pour cette référence ! La conclusion sur l’idée d’objet-matière opposée à celle d’objet-idée est assez intéressante. Sur ce point, je retrouve effectivement un bon terrain d’entente. J’aime également l’idée de force différenciante. Ce qui me pose souci, c’est que je ne suis pas certain que l’intervention du designer insuffle une qualité supplémentaire, je dirais qu’elle renforce surtout la pratique marchande de l’objet, passant d’objet-matière à objet-commerciale.
Au fait, j’aime beaucoup leur proposition (implication du concept, de l’idée, de la responsabilité) mais je n’ai pas l’impression qu’elle corresponde à la pratique majoritaire.
Vous revenez ensuite à une assimilation entre traduction du signe, langage visuel et langage esthétique. Pourtant chacun de ces partis peut-être expression autonome d’une qualité de l’objet, ils n’ont pas besoin d’être au centre de toutes les productions. Et c’est là que j’ai du mal avec cette centralisation de la question esthétique : elle s’apprête le plus souvent à de l’emballage. Au lieu de donner de la substance à la production, elle sert de maquillage… Car même hors-propos, elle devient première, effaçant par là l’essence du produit.
De plus, je ne suis pas du tout d’accord avec l’indispensabilité pour les individus de se rattacher à l’aspect et à la forme, c’est précisément là que nous avons une discorde, bien plus que sur tout le reste de notre discussion, presque anecdotique en comparaison ! Nous sommes responsable de cette pseudo-nécessité en tant que designers, et c’est en cela que je crois nécessaire l’affranchissement de ce diktat. Nous forgeons chaque jours cette société, renforçant ses travers, appuyant nos peines. Nous nous rendons complice d’elle, du culte de l’image, de l’omniprésence publicitaire, de la disparition des espaces vierges, de l’impossibilité à l’ennui, de la sacralisation du divertissement etc. Je ne suis pas naïf, je ne dis pas que nous devons outrepasser la transcription visuelle et matérielle des artéfacts, je crois surtout que nous devons réaliser notre propre implication dans l’entretien d’un système rendant les individus étrangers à eux-mêmes, et proposer des espaces de réserve, d’émancipation… Le design doit rendre libre, on y revient ;)
« c’est à lui, plus qu’à n’importe quel autre corps de métier, qu’il appartient de donner un corps, une enveloppe, à son produit (ou du moins une apparence, une vitrine, un son, voire un ressenti, si on parle de produit immatériel). »
Pour citer Marlène Schiappa citant Spider-Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »
Pour terminer, je tiens aussi à nuancer mon propos :
Il est évident que le design ne peux se réduire à l’approche vitrine. Il y a autant d’approches que de praticiens. Ce que je fustige, c’est une pratique dominante à mes yeux. C’est l’entretien d’un monde que nous refusons souvent dans nos engagements personnels et nos valeurs. C’est le manque de cohérence entre la volonté du praticien et son effectivité, entrainant un éloignement du produit avec le producteur.
Je vous remercie pour cet échange, qui est vivifiant tant en références qu’en idées, je n’avais pu m’entretenir sur le sujet depuis un moment et j’en suis ravi :)
Jonas