En partant peindre dans la campagne ou vers des lieux plus sauvages, je prends le chemin de l'école buissonnière. Je ne cherche pas à imiter les peintres “pleinairistes“ des siècles précédents. Je ne cherche pas à faire un paysage et à rendre le caractère typique (ou “pittoresque“) du terroir où j'installe mon chevalet. J’aimerais peindre le sublime de l’univers qui m’entoure. Mais cette notion séculaire de “sublime“ n'est pas non plus le mot qui conviendrait le mieux à mes sorties. Terre nourricière, sein maternel, dieu aimant, sentiment de liberté, immensité dépassant nos esprits, à quoi bon expliquer : ce mystère à longtemps participé à mon émerveillement. Dehors j'ignorais tout, et cette passion finissait par m'obliger à réinventer mon regard. Choisir un point de vue pour peindre est une première démarche où se joue l’essentiel du futur ouvrage, son sujet, sa composition, sa poésie. Je m’efforce de découvrir un parti qui appartient à mon intime émotion et non pas au souvenir d’un des nombreux peintres que j’ai tant aimé. Le travail sur le motif est un long dépouillement. J’aimerais m’affranchir de toutes les facilités, mais c’est toute une vie. Sans émerveillement, la peinture deviendrait un sordide exercice d’écolier. Je me dois de mesurer la sincérité de mon choix avant même de réaliser mon ouvrage. Mais j’ai beau tourner, hésiter, je resterai toujours cet étudiant nourri par les œuvres de ses pères. Nous ne sommes jamais qu’en devenir sur un chemin emprunté malgré son issue incertaine. Pariant sur le travail, la persévérance, je pars à la recherche de mes propres signes plastiques, guidé par la sensation de beauté que m'offre la nature. Comment trouver le lien entre la sensation qu’offre la visite d’un site et la nécessité d’établir un motif solide dans son cadre ? Ces deux réalités sont aussi éloignées que le sont la matière et l’esprit. Le métier du peintre n’est-il pas de donner de l’esprit à la matière ? Le peintre sur le motif recherche son cadrage comme un photographe. Sans imiter les effets par petits bouts de fausses matières ou par des tromperies d’effets de lumière, il réinvente la réalité par les moyens qu’offrent la peinture et le dessin et sans dénaturer la réalité des matériaux de cette peinture et de ce dessin. Le peintre ne cherche pas à copier les aspects optiques du modèle mais invente des équivalents synthétiques pour suggérer l’essentiel (porte n° 43). Lorsque je commence au fusain à circonscrire un morceau de paysage où tout ce qui m’entoure doit figurer cependant, je redécouvre chacune des masses comme si je les portais moi-même à bout de bras et les déplace dans l’espace de mon tableau jusqu’à ce qu’elles prennent de la force ainsi que leur juste caractère les unes par rapport aux autres. Les lignes sont des caresses sur le dos des volumes cependant que sur la surface de la toile ces lignes deviennent des animations d’arabesques (comme de la musique). Mon regard plonge avec force dans l’épaisseur de l’espace et demeure résolument attentif à l’ensemble de mon champ de vision. Résultat d’un très long travail sur mon regard. Je lis de plus en plus la nature par l’intérieur. J’ajuste les masses par le langage des lignes avec la mesure du sentiment qui me porte car aucun calcul ne peut surpasser le bonheur de faire l’amour avec les formes. Il est désastreux de construire des proportions avec un esprit de froide géométrie, aussi ingénieux soit-il. Je fixe enfin mon tracé de fusain avec un liant au pinceau et cette action transforme le dessin en peinture. C’est une occasion pour mieux penser les surfaces comme étant de futures plages de couleurs (porte n° 90). Je constitue ma palette en fonction du motif à réaliser. Je recherche sans concession la couleur proche de la nature par des mélanges. Les couleurs vives ne sont pas compatibles avec la représentation de la profondeur recherchée. La couleur saturée réclame au contraire une découpe en aplat. J’utilise des tons rabattus également par refus du recours à la séduction. Souvent j’aime la force dans le dessin et la douceur dans la couleur car je n’aime ni le trop de douceur ni le trop de force. Je pose la couleur famille par famille en commençant par les ombres, en prenant soin d’étendre en légèreté la matière picturale des tons sombres pour ne pas salir les touches plus en empattements des futures lumières. Je recherche plus le rapport des tons entre eux que la couleur isolée. Une note est arbitrairement juste selon son contraste simultané avec l’ensemble de l’harmonie du tableau (porte n° 67). C’est une attention soutenue avec cette impression montante d’une chorale où chaque voix s’ajoute une à une au cœur d’une partition que je découvre. J’hésite, je me reprends, je me corrige, pour, ponctuellement, poser fortement une affirmation. Une relative conviction me vient secrètement de ce que j’ai préalablement longuement cherché. Mon but n’est pas la représentation du détail. J’arrête mon tableau lorsque je ressens la même impression, celle qui m'a été offerte au premier regard sur ce lieu, qui m'a incité à m'installer. Un paysage c'est comme un portrait. Mais le travail lui-même est un courant qui m'entraîne quelquefois ailleurs. Soit j'ai échoué, soit j'ai découvert une nouvelle île. Rarement je lâche totalement la bride et c'est dommage. Il ne faut pas hésiter à faire du mal à la peinture et à la dite réalité, puis essorer, tordre les matières pour en sortir le jus. Le tableau s'en trouve rajeuni. Si je vous impose un spectacle trop défini, ne suis-je pas un peintre abusif ? En créant trop d’illusion, ne devenez-vous pas la proie d’une tromperie ? Si j’ouvre des possibilités d’interprétation par de simples suggestions, je vous laisse libre et prouve ma considération envers vos qualités de jugement. Mais à quel stade en viendrais-je à me rendre illisible ? Tout réglage reste entre vous et moi. La peinture n’est pas une marchandise comme les autres, elle est même tout sauf une marchandise. - Extrait de mon livre "Secret", Yves Calméjane
un artiste! un vrai!
En partant peindre dans la campagne ou vers des lieux plus sauvages, je prends le chemin de l'école buissonnière. Je ne cherche pas à imiter les peintres “pleinairistes“ des siècles précédents. Je ne cherche pas à faire un paysage et à rendre le caractère typique (ou “pittoresque“) du terroir où j'installe mon chevalet. J’aimerais peindre le sublime de l’univers qui m’entoure. Mais cette notion séculaire de “sublime“ n'est pas non plus le mot qui conviendrait le mieux à mes sorties. Terre nourricière, sein maternel, dieu aimant, sentiment de liberté, immensité dépassant nos esprits, à quoi bon expliquer : ce mystère à longtemps participé à mon émerveillement. Dehors j'ignorais tout, et cette passion finissait par m'obliger à réinventer mon regard.
Choisir un point de vue pour peindre est une première démarche où se joue l’essentiel du futur ouvrage, son sujet, sa composition, sa poésie. Je m’efforce de découvrir un parti qui appartient à mon intime émotion et non pas au souvenir d’un des nombreux peintres que j’ai tant aimé. Le travail sur le motif est un long dépouillement. J’aimerais m’affranchir de toutes les facilités, mais c’est toute une vie. Sans émerveillement, la peinture deviendrait un sordide exercice d’écolier.
Je me dois de mesurer la sincérité de mon choix avant même de réaliser mon ouvrage.
Mais j’ai beau tourner, hésiter, je resterai toujours cet étudiant nourri par les œuvres de ses pères. Nous ne sommes jamais qu’en devenir sur un chemin emprunté malgré son issue incertaine. Pariant sur le travail, la persévérance, je pars à la recherche de mes propres signes plastiques, guidé par la sensation de beauté que m'offre la nature. Comment trouver le lien entre la sensation qu’offre la visite d’un site et la nécessité d’établir un motif solide dans son cadre ? Ces deux réalités sont aussi éloignées que le sont la matière et l’esprit. Le métier du peintre n’est-il pas de donner de l’esprit à la matière ? Le peintre sur le motif recherche son cadrage comme un photographe. Sans imiter les effets par petits bouts de fausses matières ou par des tromperies d’effets de lumière, il réinvente la réalité par les moyens qu’offrent la peinture et le dessin et sans dénaturer la réalité des matériaux de cette peinture et de ce dessin.
Le peintre ne cherche pas à copier les aspects optiques du modèle mais invente des équivalents synthétiques pour suggérer l’essentiel (porte n° 43).
Lorsque je commence au fusain à circonscrire un morceau de paysage où tout ce qui m’entoure doit figurer cependant, je redécouvre chacune des masses comme si je les portais moi-même à bout de bras et les déplace dans l’espace de mon tableau jusqu’à ce qu’elles prennent de la force ainsi que leur juste caractère les unes par rapport aux autres. Les lignes sont des caresses sur le dos des volumes cependant que sur la surface de la toile ces lignes deviennent des animations d’arabesques (comme de la musique). Mon regard plonge avec force dans l’épaisseur de l’espace et demeure résolument attentif à l’ensemble de mon champ de vision. Résultat d’un très long travail sur mon regard. Je lis de plus en plus la nature par l’intérieur. J’ajuste les masses par le langage des lignes avec la mesure du sentiment qui me porte car aucun calcul ne peut surpasser le bonheur de faire l’amour avec les formes. Il est désastreux de construire des proportions avec un esprit de froide géométrie, aussi ingénieux soit-il. Je fixe enfin mon tracé de fusain avec un liant au pinceau et cette action transforme le dessin en peinture. C’est une occasion pour mieux penser les surfaces comme étant de futures plages de couleurs (porte n° 90). Je constitue ma palette en fonction du motif à réaliser. Je recherche sans concession la couleur proche de la nature par des mélanges. Les couleurs vives ne sont pas compatibles avec la représentation de la profondeur recherchée. La couleur saturée réclame au contraire une découpe en aplat. J’utilise des tons rabattus également par refus du recours à la séduction.
Souvent j’aime la force dans le dessin et la douceur dans la couleur car je n’aime ni le trop de douceur ni le trop de force. Je pose la couleur famille par famille en commençant par les ombres, en prenant soin d’étendre en légèreté la matière picturale des tons sombres pour ne pas salir les touches plus en empattements des futures lumières. Je recherche plus le rapport des tons entre eux que la couleur isolée. Une note est arbitrairement juste selon son contraste simultané avec l’ensemble de l’harmonie du tableau (porte n° 67). C’est une attention soutenue avec cette impression montante d’une chorale où chaque voix s’ajoute une à une au cœur d’une partition que je découvre. J’hésite, je me reprends, je me corrige, pour, ponctuellement, poser fortement une affirmation.
Une relative conviction me vient secrètement de ce que j’ai préalablement longuement cherché.
Mon but n’est pas la représentation du détail. J’arrête mon tableau lorsque je ressens la même impression, celle qui m'a été offerte au premier regard sur ce lieu, qui m'a incité à m'installer. Un paysage c'est comme un portrait. Mais le travail lui-même est un courant qui m'entraîne quelquefois ailleurs. Soit j'ai échoué, soit j'ai découvert une nouvelle île. Rarement je lâche totalement la bride et c'est dommage. Il ne faut pas hésiter à faire du mal à la peinture et à la dite réalité, puis essorer, tordre les matières pour en sortir le jus. Le tableau s'en trouve rajeuni. Si je vous impose un spectacle trop défini, ne suis-je pas un peintre abusif ? En créant trop d’illusion, ne devenez-vous pas la proie d’une tromperie ? Si j’ouvre des possibilités d’interprétation par de simples suggestions, je vous laisse libre et prouve ma considération envers vos qualités de jugement. Mais à quel stade en viendrais-je à me rendre illisible ? Tout réglage reste entre vous et moi.
La peinture n’est pas une marchandise comme les autres, elle est même tout sauf une marchandise. - Extrait de mon livre "Secret", Yves Calméjane
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